Et on est tous entrés dans la classe.
La classe du lycée, c'est plus triste que nos clairières de TunT2: il faut s'asseoir toute la journée, même quand on a sommeil, toujours à la même place : Olivier et moi, on se tasse au fond, bien à l'ombre. Gaia et Ifana sont devant nous, et près de la fenêtre, il y a Amblain et Tilgann qui se chauffent sur la première plate-bande, et Nicole et Murianne derrière eux.
| | | Olivier dit que toutes les salles de classe se ressemblent ! Un grand tableau vert loin devant, quelques décorations sur les murs, et un symbole patriotique, chez nous c'est une grande image des fondateurs du quartier, avec la devise qu'ils nous ont laissée: "Chaque jour vaut pour autant qu'on le prise".
| | | Si Clea cueille mes mots, je vais me faire dilater les rameaux, mais tant pis, je dois pousser droit sur mon tronc: au lycée, souvent, je m'ennuie. Alors je laisse mes pensées voleter jusqu'au faîte du palmier qu'on voit par la fenêtre. |
Où j'en étais ? Ah oui !
"Mais M'dame, on a cours avec Filbert, pas avec vous !"
"Silence, silence, installez-vous en silence ! Bien. Puisque vous semblez l'ignorer, je vous apprends que Monsieur Filbert sera absent exceptionnellement aujourd'hui, car il a été qualifié pour la finale du tournoi d'échecs de SimCity."
"Ooooh !"
"Oui, nous lui souhaitons tous bonne chance, et nous sommes certains qu'il défendra haut la main les couleurs de Tidsid Canyon"
Et moi, pour faire rire Nicole, j'ai joué au bouton qui vient d'éclore: "Ah bon ? Les couleurs sont en danger ? Il faut que Filbert les défende ?"
"Monsieur Techet ! Encore vous ! Approchez, je vous prie."
"Monsieur Techet, je ne me souviens pas de vous avoir donné la parole. Sachez toutefois que "défendre les couleurs" est une expression qui signifie "représenter son pays", ou dans notre cas, son quartier."
"Aaah ! D'accord, d'accord ! J'ai absorbé !"
"Si vous le dites ! Retournez à votre place. Bien ! Maintenant, pendant que je prends connaissance de vos travaux en cours, veuillez prendre une feuille et rédiger quelques lignes sur l'aspiration Connaissance, ses mérites, ses compétences privilégiées. Vous avez 40 minutes-sims."
Alors là, nous, on n'était pas contents, mais pas contents du tout !
"Oooh ! M'dame, c'est pas juste !"
"Eh ! c'est trop fastoche !"
"Fayot !"
"Silence !"
Evidemment ! Pour Amblain, c'est facile, parce qu'il a l'aspiration Connaissance, lui aussi ! Mais pour Nicole, qui a l'aspiration Fortune, pour Olivier, qui a l'aspiration Famille, ou pour Gaia, Tilgann et moi, qui avons l'aspiration Popularité, c'est drôlement plus tempêtueux !
Si j'osais... je n'aurais qu'à lancer un stolon, une tige-racine insinueuse, pour lire dans les pensées d'Amblain... Mais non, je sais que je ne dois pas... Nom d'une ortie bleutée ! ça me démange... Enfin, ce serait facile si nos pensées, à Amblain et moi, n'étaient pas si différentes ! Car même Ylanda serait surprise de cueillir sur ma feuille que "de toutes les aspirations Sims connues à ce jour, la Connaissance offre un équilibre remarquable entre les compétences domestiques, sociales et intrinsèques" . (Et ce dernier mot, là, "un-train-sec"... je ne sais pas ce que ça veut dire, mieux vaut que je l'écarte du panier.)
"Bien ! Très bien ! C'est terminé !"
"Oh ! M'dame ! Encore cinq minutes !"
"Allons ! allons ! ... Bien ! Alors, pendant que vous composiez, j'ai vu que vous deviez réfléchir sur un texte ? Oui, Amblain ?"
"Fayot !"
"Oui, M'dame, Monsieur Filbert voulait qu'on travaille sur le Conte de la Petite-Oie-Triste !"
"Ah ? Vraiment ?"
"Tout de même, Filbert... il aurait pu me demander mon avis, non ?"
"Monsieur Techet, combien de fois devrais-je vous exhorter à mesurer le ton de vos propos ? Bien ! Qui veut commencer ? Amblain peut-être ?"
"Toi, continue à fayoter, et je te fais manger ton pull à la récré"
(je ne sais pas comment il fait, Tilgann, pour réussir à dire des méchancetés en gardant le sourire !)
"Euh... non, M'dame, non... Non, non, rien..."
"Ah ? Bien. Très bien. Alors, quelqu'un d'autre ? Tilgann ?"
"Ah, moi j'ai pas pu le faire, le devoir, M'dame, j'avais entraînement ! Hin hin hin ! Hin hin !"
"Et je constate, jeune homme, à quel point vous semblez déplorer les nuisances que vos activités sportives causent à vos études ! Enfin ! Voyons, euh... Murianne ?"
"Moi ? Euh... J'ai bien pensé à quelque chose, mais je me suis peut-être trompée ?"
"Envoie toujours tes feuilles, je ferai le tri !"
"Monsieur Techet ! Pour la dernière fois, je vous somme de cesser ces interruptions continuelles ! Votre attitude est intolérable et je ne saurais la supporter plus longtemps ! Je ne vous le répéterai pas !"
"Mais, c'est que..."
"TAI-SEZ-VOUS ! Murianne, nous t'écoutons."
(c'est folâtre, Ylanda, elle dit "vous" à tous les élèves, sauf Murianne, mais c'est parce que c'est sa nièce; je serais plus à l'aise si elle me disait "tu", mais je ne voudrais pas être son neveu)
"Euh... j'ai regardé les nombres."
"Les nombres ? Ah tiens ? Bien, très bien."
"Oui, parce que dans TunT2, il y a le chiffre 2. Et dans le conte, on retrouve le chiffre 2 un peu partout: il y a deux familles, deux jeunes gens, deux adultes, et même deux textes qui se croisent, entre le texte principal et les faux-refrains."
"Mais il y a trois épisodes..."
"Oui, Amblain, et dans chacun des deux premiers épisodes, il y a douze images, et onze seulement dans le troisième"
"Et je crois que ces déséquilibres sont voulus, que la Petite-Oie-Triste a laissé des espaces vides, pour que le Bel-Oison, en les remplissant, achève lui-même l'histoire."
"Oui, cette hypothèse est intéressante, quoique un peu audacieuse. Quelqu'un d'autre ?"
Et moi, là, je ne disais plus rien.
J'écoutais à peine Murianne... Tourbe ! Où est-ce qu'elle va récolter tout ça ? Nous avons deux bras, deux yeux, oui, et cinq doigts aussi !
Pourquoi suis-je revenu au lycée justement aujourd'hui ? Je croyais que mon bois s'était regénéré, mais je vois bien que j'ai l'écorce toute molle dès qu'on reparle de ce conte-message. Et Nicole, j'ai peur qu'elle se froisse si on lui agite constamment Pfigome devant son feuillage.
"Olivier... Chut... Arrête de ronfler !"
"Mademoiselle Gaia, voulez-vous vous retourner et faire ainsi profiter de vos remarques l'ensemble de vos camarades ?"
"Euh... Je... Euh... Je sais qu'Ifana pensait que la Petite-Oie-Tr..."
"Mademoiselle Gaia, je crois qu'Ifana est assez grande pour présenter elle-même ses travaux. Mais... elle est absente ?"
"Oui, Madame, leur père les a emmenés, Patteo et elle, visiter l'université nationale de Simstate"
"Ah ? Bien ! Très bien ! Et vous, Nicole, voulez-vous ajouter quelque chose ?"
"Non, Madame, je n'ai rien retenu de cette... de ce conte.
Je ne vois pas du tout ce qu'attend la narratrice, je trouve sa démarche pathétique et je ne comprends pas ses métaphores. D'ailleurs mes parents m'ont dit qu'ils s'étonnaient qu'on étudie en classe un texte de provenance inconnue, qui contient des passages surnaturels invraisemblables, sans parler de plusieurs aspects moralement douteux."
Ah ! Nicole ! Je sais bien que tu ne penses pas un mot de tout ce que tu viens de dire... Tes paroles sont rugueuses, mais j'entends derrière elles ta farouche volonté de me rapprocher de toi. Et cela ajoute de nouveaux pétales au bouquet de mon affection pour toi, et je suis tout attendri.
"Je vous rejoins sur ce point, Nicole. Sans vouloir désavouer les choix pédagogiques de Monsieur Filbert, je préfère que vous attendiez son retour pour poursuivre ce travail.
Vous pouvez prendre quelques minutes de récréation. Ensuite, nous aborderons un autre sujet... plus académique et tout aussi innovant."
"Et n'oubliez pas de réveiller votre camarade Olivier avant de sortir !"
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